Le point (punctum) de départ. Faire du Tétrodon une chambre noire. Y faire le noir et percer un trou d’aiguille (punctum) pour permettre à une image (nue) d’arriver. 

Penser en amont une visée. Et ainsi le titre, en acte. Viser.


Penser à ce qui l’entoure. Au Tétrodon comme thalweg, et son, et ses bassins versants.


Des premiers jours et des premières nuits. Un tourbillon, tout tourne. Les oiseaux (mouettes rieuses, sternes, cormoran, gabians, petits oiseaux au ventre très rond et très blanc, loutre, méduses, enfants, moteurs, pêcheurs, vent, torchères).


Des premiers jours, un texte sur un rouleau à la machine à écrire.


Des polaroïds (shot de vodka et lego bleu et noir, trouvés entre le parking et le Tétrodon), pris sur le bord du deck, tous les jours, même emplacement, pas la même distance, pas la même heure.


Les vues aériennes à différentes échelles, imprimées, en noir et blanc.


Les notes sur bristol.


Le texte sur rouleau de caisse enregistreuse.


Les images de verres.


Et l’image faite avec le trou d’aiguille.


Et les photos de l’image faite avec le trou d’aiguille


Photogrammes.


Départ dans la nuit.


Noir.


Saturation de sel et de rire des mouettes, de vaguelettes ou vagues, cris d’enfants heureux ou peureux. Étuve, puis les livres gondolent.


Retour.


L’énergie de tout calfeutrer. Contre la lumière, le Tétrodon doit la refléter, ne pas la laisser entrer, activation physique intense, quelque chose de la fabrication, contre la structure.


Nuit.


Aube.


Tout passe quand même. 


Le papier ses fibres accueillent l’eau si près.


Il s’éloigne de la vitre, contre le plan.


Le scotch n’est pas noir.


Tout s’infiltre.


Encore une fois par vagues, pas de renoncement mais voir et faire dans l’imperfection technique, dans le désir contrarié, dans l’échec de faire le noir, ce qu’il en reste, ce qui en subsiste, ce qu’il est possible de voir.


Des images naissant, animées, être et se tenir dans le point aveugle même.


Elles sont lacunaires, sombres, faibles, à bas bruit. 


Rien du triomphe de la vue. Mais un louvoiement.


Et une double visée, car le sombre ainsi cherché par un punctum naturel, à l’intersection des deux battants de la porte, donne une image au plafond, l’à-côté imprévu qui fascine autant.


Chaque étape s’écroule. Les linéaments du désir, et des projets se construisent, puis se dissolvent.


Que reste-t-il, sinon de quoi imprimer un souvenir. 


Des constructions aimeraient avoir lieu, ou des opérations systématiques et consignées. Oui. 


Comme ce noir portatif, dans lequel le corps entier pourrait tenir, et des points comme autant d’yeux avec paupières, les soulever et l’image naît. La regarder longtemps, elle bouge, car ce ne sont pas des images mais un film, celui, inversé, renversé, de ce qui au-dehors nous est soustrait, puis évidé.


Un film, sans pellicule, sans chimie.


Comme ce panorama à hauteur ou distance du même, tout autour du Tétrodon, en images polaroïd, à intervalle régulier une ligne et c’est un objet exposable, montrable, fini, un déploiement en salle blanche, une opération rondement menée, pouvant donner lieu à écriture, et en tension avec le son pris en flagrant délit de vibration et en faire le tour. Spatial. Oui.


Et.


Alors qu’il y a ce système, tentative, tous les boulons dans cette fausse nuit sont rouge pâle et enlèvent de la force à l’image sur le carton posé sur le pupitre en métal.


Et que les vaguelettes, plus ou moins rides, ne cessent de se relancer sur la mer de Berre et sur le carton presque en noir et blanc et que leur jeu fait qu’aucun reflet n’existe et que leur combinaison, leurs angles, leur surface, leur naissance et leur disparition forment un motif aux accents de contagion, de don et de contre-don, elles préparent à la vision, plus tard, des feuillages allongés et des hampes des cannes de Provence. Leur mouvement, leur combinatoire, leurs rencontres préparent, assouplissent, amollissent, familiarisent avec certains mouvements souples guidés par le vent, la lumière, la chaleur, la densité de la matière, la gravité d'autres éléments offerts à la vue.


Tout paraît ainsi pris en amont dans une matrice, et tout se rencontre comme éléments de même nature et préside à l’intuition de lois sur le comportement de tout ce qui nous entoure et nous traverse, une plasticité aussi fine et aussi dense que les échanges constants d'informations qui maintiennent en vie.


Ainsi, enlever, ôter, évider des informations, par ce que cela permet de rendre certains mouvements et certaines structures apparentes, suspendant un afflux important d’informations, quand cela se repose ailleurs, plus tard, dans une richesse de couleurs, de matières, dans d’autres milieux, permet de vivre, saisir, sentir les liens, les élasticités, les complicité entre les fibres, les surfaces, les peaux vivantes, les principes optiques, les rugosités rocheuses, les flottements et les enfouissement, les frôlements, collisions, submersions, superpositions, les dévorations, les invisibilisations, les disparitions, les dissolutions, les croissances, les dépôts, les concrétions, les assèchements, les gonflements, les flottements, les écoulements, les jaillissements, les érosions, les appuiements, les repos, les coulées, les chocs, les fissurations, les mêlements, les accouplements, les accolements, les échanges, les liens.


Et rouler avec.


Et disparaître dans.


Et attendre.


Lentement.


De plus en plus lentement.


De la lumière.


De la lumière, attendre une accélération. Des images. Une accentuation. Et une coulure, une attirance vers ce qui fait miroir. Pas une identification, juste un écho allant de plus en plus dégradé, de plus en plus proche, en puis, herbe en son milieu, à écrire.





images et textes © esther salmona - 2023